à quel moment envisager une donation au dernier vivant ?

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Le don au dernier vivant ne fait pas la une des débats de famille. Pourtant, c’est souvent lui qui dessine la frontière entre sécurité pour le conjoint et héritage partagé à la hâte. Droit civil, stratégies successorales, marges de manœuvre : tout se joue dans les lignes d’un acte notarié, rarement anticipé, parfois mal compris. Ce qui suit va droit au but, sans jargon inutile ni contorsions de principe.

Usufruit et nue-propriété : le socle du don au dernier vivant

Difficile de comprendre le don au dernier vivant sans s’arrêter d’abord sur la notion de démembrement de propriété. Ce terme, un peu austère, est pourtant la clé pour saisir les enjeux entre héritiers, conjoint et enfants.

Le découpage des droits se présente ainsi :

  • Pleine propriété : le propriétaire réunit tous les pouvoirs sur le bien, qu’il s’agisse d’habiter, de gérer ou de vendre. Dès qu’on parle de « PP », attendez-vous à cela.
  • Usufruit : l’usufruitier profite du bien, par exemple en l’habitant ou en touchant les loyers, mais il n’en détient pas la propriété définitive.
  • Nue-propriété : le nu-propriétaire possède le bien dans la durée mais n’en profite réellement qu’à l’issue de l’usufruit, souvent après le décès de l’usufruitier.

Cas concret : Monsieur possède un appartement en pleine propriété. À son décès, l’usufruit est transmis à sa femme, tandis que la nue-propriété revient à leur fils. Madame conserve le droit d’occuper ou de louer le logement toute sa vie. Le fils, lui, récupérera sa pleine propriété au second décès.

Le mécanisme de démembrement s’applique aussi bien à l’immobilier qu’aux placements financiers. L’usufruitier peut utiliser les fonds. Le nu-propriétaire en deviendra pleinement bénéficiaire à la disparition de l’usufruit.

Don au dernier vivant : uniquement pour les couples mariés

Le don au dernier vivant, il faut le rappeler, ne concerne que les couples officiellement mariés. Les couples pacsés ou en concubinage, quel que soit leur engagement, n’ont pas accès à cette prérogative juridique. Pour eux, d’autres solutions devront être envisagées, mais la protection réservée au conjoint disparaît hors du mariage.

Avant d’évaluer l’avantage de ce dispositif, il importe de saisir ce que la loi prévoit par défaut pour le conjoint marié quand aucune disposition spéciale n’a été prise. Selon la composition de la famille, les parts varient :

Le défunt laisse son conjoint et : Part revenant au conjoint survivant
Un ou plusieurs enfants communs 1/4 de la succession en pleine propriété
Un ou plusieurs enfants d’une autre union 1/4 de la succession en pleine propriété
Pas d’enfants, mais deux parents vivants 1/2 de la succession en pleine propriété
Pas d’enfants, mais un seul parent 3/4 de la succession en pleine propriété
Ni enfants ni parents La totalité du patrimoine

Transposons ces chiffres : un homme s’éteint en laissant son épouse et deux enfants, dont l’un n’est pas issu du couple. Sa femme reçoit un quart de la succession, les enfants prennent le reste. Autre cas : une femme meurt sans enfant mais sa mère lui survit, son mari hérite alors des trois quarts, le restant allant à sa belle-mère.

Le régime matrimonial (séparation de biens, communauté universelle, communauté réduite aux acquêts) ne change rien à cette première répartition. Seul le mariage ouvre ces droits spécifiques.

Malgré tout, cette protection minimale peut laisser le conjoint survivant avec une faible part. Quand il faut sécuriser la situation du conjoint, le don au dernier vivant permet d’aller beaucoup plus loin, en offrant de nouveaux choix au survivant.

Voici concrètement ce que permet ce dispositif :

  • Le survivant peut recevoir la totalité du patrimoine si aucun enfant n’est en jeu (les parents du défunt n’entrent plus dans le partage).
  • Si des enfants sont présents, le conjoint survivant a accès à trois alternatives supplémentaires :

    • L’usufruit sur la totalité de la succession ;
    • Le quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit ;
    • La quotité disponible.

La quotité disponible : un levier pour le conjoint survivant

Le vocabulaire de la « quotité disponible » semble parfois abstrait. Pourtant, la logique est limpide : la loi réserve toujours une portion d’héritage aux enfants (la « réserve »), le reste pouvant aller librement au conjoint par le biais du don au dernier vivant.

En bref, la quotité disponible, c’est la part de la succession laissée à la liberté du défunt. Les enfants bénéficient d’une sécurité absolue sur leur réserve héréditaire. Avec un don au dernier vivant, le conjoint peut recevoir tout ce qu’il est possible de lui transmettre dans le respect du droit des enfants.

Voici le découpage prévu selon la descendance :

Situation familiale Part réservée aux enfants Quotité disponible
1 enfant 1/2 du patrimoine 1/2
2 enfants 2/3 du patrimoine 1/3
3 enfants ou plus 3/4 du patrimoine 1/4
Pas d’enfants 0 100%

Exemple concret : Une femme laisse deux enfants à son décès. Ils sont assurés de toucher chacun leur part sur les deux tiers du patrimoine. Grâce au don au dernier vivant, son mari pourra recueillir en pleine propriété le tiers restant, c’est-à-dire la quotité disponible. Mais il est impossible d’aller au-delà : la réserve des enfants n’est jamais entamée.

Ce mécanisme apporte une vraie flexibilité au conjoint survivant, selon la composition de la famille. Les changements concrets que le don au dernier vivant peut provoquer sont clairs :

  • Sans ce don, le conjoint marié doit se contenter de la part légale (souvent 1/4 en pleine propriété, ou l’usufruit global).
  • Avec ce mécanisme, deux possibilités supplémentaires s’ouvrent : le survivant pourra choisir l’usufruit total, la quotité disponible en propriété directe, ou encore le quart en propriété complète et le solde en usufruit.

Imaginons un couple marié avec deux enfants issus du mariage. Sans recours au don, au décès de l’un, l’autre pourra réclamer seulement le quart en pleine propriété ou l’usufruit global. S’il a signé le don au dernier vivant, il aura accès à la quotité disponible (ici un tiers en pleine propriété), ou à la combinaison quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit. Les enfants recevront le reste, selon l’option choisie par le conjoint survivant.

Cette mécanique s’applique, quel que soit le régime matrimonial du couple. Plus le partage avantage le conjoint, plus la part disponible pour les enfants reste en suspens jusqu’au second décès. Toutefois, les enfants ne sont pas privés de leurs droits fondamentaux : ils sont désignés comme nus-propriétaires, et la pleine propriété leur reviendra, inévitablement, à la disparition du conjoint survivant.

Faire établir un don au dernier vivant : démarche et budget

Mettre en place un don au dernier vivant exige de passer chez le notaire, sans alternative. L’acte notarié garantit la sécurité de la démarche. Les époux peuvent choisir de signer chacun un acte, ce qui est la pratique la plus courante.

Les honoraires varient d’un notaire à l’autre, aucun barème national ne s’impose. Il est recommandé de consulter plusieurs études pour obtenir une estimation fiable. Les tarifs observés avoisinent souvent 300 à 600 € pour les deux actes, parfois 200 € TTC par conjoint, donc 400 € pour les deux signatures.

Le jour de la succession, une taxe de 125 € sera demandée pour l’inscription du don au dernier vivant aux Archives centrales des dispositions de dernières volontés, un registre systématiquement consulté par les notaires pour prendre en compte cette disposition.

Restriction ou révocation du don au dernier vivant : quelles marges ?

Le don au dernier vivant n’est ni figé ni automatique. Il peut être modulé pour ne s’appliquer qu’à certains biens ou sous certaines conditions. Avec l’accord écrit des enfants, il est même possible d’aller plus loin et d’écarter la réserve, à condition qu’ils y consentent formellement. Cette renonciation reste toutefois un acte grave, encadré par la loi.

La révocation est également possible dans des conditions précises. Si le don figure au contrat de mariage, il devient irrévocable, sauf divorce. Sinon, il peut toujours être annulé par testament ou par un autre acte notarié. Aucune obligation d’en informer l’autre époux, l’annulation est un acte individuel. Enfin, le divorce entraîne de plein droit la suppression du don.

Le don au dernier vivant ne laisse rien au hasard : il protège le conjoint, mais il définit surtout une liberté, quand la vie décide de tout redistribuer.